Agence nationale des Affaires maritimes
Capitaine au long cours (CLC), pilote du port de Dakar de profession, le Commandant Edouard Sarr, par ailleurs Directeur de TCI Africa Dakar, – un correspondant de club de protection et d’indemnité, plus connu sous le nom de P & I club -, et cela, après 26 ans de loyaux services au Port de Dakar, s’est confié à «Affaires Maritimes». Avec votre serviteur, il a mis cap sur le rôle du Capitaine de bateau et l’historique des P & I clubs. Il a, également, viré tantôt à tribord, tantôt à bâbord, pour dire son soutien à la création de l’ANAM et ses souhaits de voir notre pays grâce à sa position à l’extrême Ouest du continent africain et sa proximité avec les grands axes Nord-Sud du trafic mondial, devenir un hub régional. Il est arraché à notre affection le 22 Septembre 2011.
Dans la marine, on dit du Capitaine qu’il est le «Seul Maître à bord, après DIEU…». Pourquoi ?
C’est une expression qui date du temps de la marine à voile durant laquelle le Capitaine, une fois muni de ses expéditions allait vraiment à l’aventure en ce sens que devant le manque de moyens de communications avec son armateur, il pouvait décider de tout et tout seul, en fonction des circonstances du moment, dans l’intérêt des armateurs.
Commandant, il paraît que les études qui mènent au poste de pilote sont longues. Et même trop longues ?
C’est vrai que c’est très long. Mais on ne peut pas dire « études » à proprement parler, car il s’agit plutôt de connaissances du milieu et pratique, car il n’y pas d’écoles spécifiques pour former des pilotes. On entre au pilotage avec ses connaissances maritimes générales ainsi que son expérience à la mer. Pour vous en donner une idée, je vous signale que pour être Capitaine au Long Cours, il faut quatre années d’études théoriques :
C’est seulement après cela que le candidat peut postuler au concours d’entrée au pilotage, où, s’il est reçu passera une année entière à se familiariser avec les spécificités nautiques, hydrographiques et techniques du port de Dakar, ce qui constitue tout un programme.
Il passera ensuite l’examen de pilote proprement dit, et s’il réussi est nommé aspirant pilote dans un premier temps et après une doublure avec un pilote confirmé passera les différentes étapes ponctuées de contrôle, jusqu’à l’obtention du brevet de pilote de port de Dakar.
Commandant, vous êtes aussi correspondant de P&I club. Voulez-vous nous parler de ce métier ?
C’est un métier typiquement anglosaxon. Il est né au XIXème siècle avec le souci des armateurs de l’époque de se soutenir mutuellement pour faire face à des sinistres auxquels leurs assureurs classiques (coques et machines) ne faisaient pas face. C’était notamment le cas lors de collisions ou abordages entre navires. C’est par la suite que cette protection a été étendue à l’indemnisation des parties tierces en cas de dommages aux marchandises transportées, d’où l’expression Clubs de protection et d’indemnisation.
C’est-à-dire ?
Je dis qu’en raison d’une augmentation des risques encourus par les armateurs suite à un développement extrêmement rapide des vagues d’émigration, (Amérique, Australie) ces derniers se regroupèrent en mutuelle de protection pour supporter les risques non couverts par les assureurs corps en cas de collision et les risques liés au transport de passagers. Ce n’est que plus tard que ces clubs de protection évoluèrent en clubs de protection et d’indemnisation, en prenant également en compte, les recours pour dommages à la cargaison. Aujourd’hui, nul doute que la couverture a évolué en fonction du contexte économique mondial et s’est très largement diversifiée.
Le P&I club est-il bien connu au Sénégal ?
Oui. (Long silence). Oui. Les P&I sont connus des autorités étatiques, maritimes et portuaires. A l’heure actuelle, on compte quatre (4) correspondants de P&I clubs qui ont pour ancêtre TCI, sauf un (1).
Quels sont-ils ?
Je préfère ne pas parler de la concurrence.
Avez-vous des regroupements professionnels au Sénégal ?
Je vous l’ai dit plus haut : les P&I clubs sont des associations d’armateurs à but non lucratif qui acceptent de s’assurer mutuellement pour les risques spécifiques liés aux opérations de leur navire. Bien sûr que nous avons des regroupements. A Dakar, nous sommes une succursale d’un grand groupe basé à Marseille, ELTVEDT & O’SULLIVAN qui ont des bureaux sur toute la Côte d’Afrique, de Casablanca au Maroc à Mombasa au Kenya. Le bureau de Dakar a en charge les ports des îles du Cap-Vert, de la Gambie et de la Guinée Bissau. Les bureaux sont en général dirigés par un Capitaine au long cours (CLC) ou un juriste qui se tient à la disposition des commandants des navires, des clubs et des armateurs, 24h/24et nous intervenons dans les cas suivants :
Pour un néophyte comme moi, pouvez-vous me dire à quoi sert véritablement un club de protection et d’indemnité ?
A protéger les intérêts des armateurs, des navires et de leurs commandants, et à servir d’interface ou de relais entre les clubs et les armateurs et les tiers.
N’est-ce pas une affaire de patrons anglais ?
Non. C’est devenu une affaire maritime internationale. La preuve, c’est que le groupe international constitué des principaux clubs de protection et d’indemnisation a un siège permanent au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI).
Commandant, comment accueillez-vous la création de l’Agence nationale des Affaires maritimes (ANAM) ?
(Il se redresse de son siège et…, l’air plus sérieux). Moi, en tant qu’ancien portuaire, lors d’un séminaire à Bordeaux sur les administrations maritimes, j’avais eu dans mon rapport de mission à recommander la mise en place d’une telle Agence afin de mieux coordonner la politique maritime sénégalaise et mieux exploiter le potentiel que nous offrait nos 700 km de côtes. Je pense que c’est une bonne chose, mais il faudrait que les moyens soient au rendez-vous pour ne pas dire que les moyens suivent pour permettre à ses agents de mener à bien cette mission régalienne de l’Etat.
Vous avez dit mission régalienne de l’Etat ?
(Rires).
Qu’est-ce que l’ANAM peut apporter au monde maritime ?
Il y a beaucoup de choses que l’ANAM peut apporter au monde maritime. Pour en citer quelques unes :
Vous n’êtes pas sans savoir aujourd’hui que l’application du décret des redevances de l’ANAM traîne. Et c’est ce qui devrait lui permettre d’assurer véritablement la Sûreté et la Sécurité maritimes et ainsi éviter que des fortunes de mer à l’image du drame du «Joola» ne se reproduise dans nos eaux…
Vous savez, je n’ai pas participé aux discussions sur la création de ces redevances. Mais elles font redondance avec certaines taxes déjà appliquées par le Port autonome de Dakar (PAD), les ports secondaires et par les chambres de commerce…
Seriez-vous alors complice des grands armateurs qui, pourtant, décident unilatéralement de ce qui se fait sur la Côtière, souventes fois, au détriment des pays africains dont le cas le plus patent est l’augmentation du prix de surcharge du container à 600 euros (plus de 350 000 F Cfa) sur cet axe, sans avertir les responsables des administrations maritimes alors, en conclave, à Cotonou ?
Non, du tout. Au contraire, je souhaite que l’ANAM existe et joue le rôle qui est le sien pour le développement du monde maritime et assure la mission régalienne qui lui a été confiée.
Revenons aux P&I clubs. Comment fonctionnent-ils ?
Comme je vous le disais tantôt, les P&I clubs regroupent plus de 90% de la flotte mondiale. Par leur intermédiaire, les Armateurs sont amenés à connaître les us et coutumes de chaque port qu’ils fréquentent. Ce qui est très important. Par exemple : au Port autonome de Dakar (PAD), à travers les différents problèmes que rencontrent les commandants des navires et les solutions trouvées par les correspondants des P&I clubs, cela permet de savoir qu’au PAD, on applique les règles du Commerce international au même titre qu’un autre port de dimension internationale.
Au cours de nos échanges (je ne viole pas de secrets… rires), vous aviez laissé entendre que votre travail (correspondant de P&I) permettait aussi de sécuriser le Commerce maritime international et d’apporter des garanties dans le fret de riz au Sénégal. En quoi faisant ?
C’est vrai, dans le transport de riz, nous intervenons auprès des traders sénégalais en cas de dommages ou d’avaries sur la cargaison. Notre présence rassure l’importateur sénégalais qui, à travers notre présence, a un interlocuteur sûr et fiable. Et est sûr d’être indemnisé in fine.
Quel rôle jouez-vous également dans le rapatriement des marins malades dans le cadre de leurs missions ?
Le volet «marins malades», «passagers clandestins»…, est pris en charge par les P&I clubs. C’est ainsi que nous intervenons pour le débarquement des malades et leur hospitalisation dans les cliniques et hôpitaux qui ont un plateau médical relevé et reconnu au niveau international. Nous intervenons aussi au terme de leur rapatriement dans leurs pays d’origine. De même, pour les passagers clandestins, compte tenu de la position géographique du PAD par rapport aux grandes lignes et le fait que la plupart des pays africains dispose d’une représentation diplomatique ou consulaire à Dakar, nous intervenons pour le débarquement, l’identification, la documentation et le rapatriement et le rapatriement des passagers clandestins en provenance de, pratiquement, tous les ports des pays d’Afrique.
Vous avez aussi vanté la position géographique du Sénégal à l’extrême Ouest de l’Afrique jusqu’à dire même que c’est une chance. En quoi cela est-il vrai ?
(Le visage radieux). Moi, je suis convaincu que la position de notre pays à l’extrême Ouest du Continent africain et comme je l’ai dit tantôt, sa proximité avec les grands axes Nord-Sud du trafic maritime international, constitue un atout majeur pour nous positionner comme un hub régional de service maritime et portuaire à travers les activités diverses que sont :
Propos recueillis par Alassane DIALLO, CTCOM/ANAM