Agence nationale des Affaires maritimes
Arrivés le mercredi 4 août 2010 à Ziguinchor, nous sommes en pleine Casamance «Kasa du Mansa» (Maison ou Domaine du Roi des Floups), cette région historique et naturelle du Sénégal située au sud-ouest du pays, entre la Gambie et la Guinée-Bissau, partiellement isolée du reste du pays par le territoire gambien. Elle doit son nom au fleuve Casamance, et est composée des régions administratives de Ziguinchor à l’Ouest, Sédhiou au Centre et de Kolda à l’Est. Cependant, c’est la région administrative de Ziguinchor qui retient ici notre attention. Et c’est par un matin brumeux que notre délégation, dirigée par M. Maguèye Guèye, Directeur des Transports maritimes, fluviaux et des ports (Dtp), et comprenant Commandant Mamadou Thiam, Capitaine du Port de Ziguinchor, Mbaye Ndao, Conseiller Technique à l’ANAM, Samuel Demolliens, Chef de projet à Eiffage, Eric Vigoureux, Directeur technique Eiffage Sénégal, Olivier Pal, Directeur Géotechnicien Eiffage, Lucas Julien, Commandant des Travaux CAN, et votre serviteur, a quitté Ziguinchor pour Carabane. Récit d’un voyage au «pays des rivières» et de Dame nature. Entre arbres, herbes et eaux !
Jeudi 5 août 2010. Il est sept (7) heures. De gros nuages noirs se sont déjà formés sur le ciel de Ziguinchor. La température est douce. De la terrasse de l’hôtel où nous logions, nous apercevons le soleil qui commence à poindre et darder ses rayons qui rendirent la vue du bateau «Aline Sitoe Diatta» (ASD) à quai, floue. La capitale du sud sort de sa torpeur. Quelques véhicules prennent les rares clients rangés sur le trottoir…, la vie recommence petit à petit, après une nuit paisible au cours de laquelle, il a plu des cordes.
Cependant, la veille déjà, à Ziguinchor, une délégation du Maître d’Ouvrage composée de MM. Guèye, Thiam, Ndao et votre dévoué qui effectuait, du 4 au 6 août 2010, une mission de suivi du projet de Carabane a rencontré le gouverneur de la région. Indépendamment des aspects purement techniques, cette délégation a aussi rencontré les responsables régionaux à la Gouvernance de Ziguinchor. A cette occasion, M. Guèye a signalé qu’un Comité Régional de Développement Spécial (CRDS) composé d’acteurs publics, privés et politiques de la région sera convoqué à la 1ère semaine d’octobre 2010 par le gouverneur de la région de Ziguinchor pour les informer du déroulement du Projet sur la construction d’un appontement passagers et d’un appontement à pirogues à Carabane.
Le chauffeur qui doit nous convoyer dans le département d’Oussouye vient d’arriver à notre hôtel. MM. Maguèye Guèye et Samuel Demolliens se concertent pour obtenir l’escorte militaire. Les coups de fil continuent de plus belle entre eux et les autorités de la région. Finalement, nous pouvons attendre l’escorte au check-point, sis à la sortie de Ziguinchor, sur l’axe d’Oussouye, la route du Kasa. Dans cette zone, l’ethnie majoritaire est le peuple diola, qui parle la langue diola, avec les dialectes Blouf dans le Tendouck, Fogny dans le Sindian, Fogny Komba dans le Diouloulou, Kalounaï à Mampalago, Kasa dans le département d’Oussouye…
Les Diolas sont traditionnellement animistes, voire chrétiens (alors que l’essentiel de la population sénégalaise est musulmane jusqu’à 95%), caractérisant ainsi, chez eux, une identité forte, qui alimente un certain indépendantisme. Seulement, les temps ont changé. Aujourd’hui, les animistes sont situés dans le Oussouye, les catholiques dans le Bignona et les îles, tandis que les musulmans, très nombreux actuellement, sont principalement dans le Sindian. Par contre, en véritable mosaïque ethnique à l’image de la région naturelle, Ziguinchor comprend également des Socés, des Baïnunks, des Peuls, des Wolofs, des Manjaques, des Créoles…
Alors que nous étions sur la route du Kasa, les paysans nous dépassaient au check-point de Djibélor. Le «kadiandou» (instrument de culture en forme de hilaire) sur l’épaule, un coupe-coupe à la main, des personnes de tous les âges, parfois perchés sur des ânes («chose rare, me fait remarquer un habitant de la zone, car l’âne comme le cheval ne sont pas bien accueillis par la nature casamançaise à cause de la mouche tsé-tsé»), et suivis, quelquefois, de chiens nous dépassent juste à l’entrée ou à la sortie de la capitale du Sud (c’est selon). Ils vont aux rizières, traversant des rivières. Et un de nos interlocuteurs de dire : «C’est rare de voir une femme avec cet instrument de travail. Le « kadiandou » est typiquement masculin, car chez les Diolas, le travail de la terre est bien réparti. Les hommes cultivent, les femmes repiquent, à quelques exceptions près».
Une belle voiture de couleur gris fer transportant des sœurs de la mission catholique, en provenance de Cabrousse passe tranquillement le check-point. Elle n’a pas été soumise au contrôle militaire, pardon, policier. «L’église, c’est la paix», dit mon interlocuteur.
Pendant que les forces de police du Groupement mobile d’intervention (Gmi) procédaient au contrôle d’identité des passagers venus du côté de Brin, de Cabrousse ou de Cap-Skirring, notre regard est attiré par un panneau de l’Agence régionale de développement de Ziguinchor vantant les mérites du combat du PNDL pour la lutte contre la pauvreté. Des deux bords de la route, une verdure sans pareille supporte un décor arbustier très varié et constitué de gros fromagers, de palmiers de toutes les formes et de toutes les tailles et de hautes herbes. Que c’est beau quand le sol se pare de ses plus beaux atours : un tapis vert herbacé !
Après quelques minutes d’attente, deux jeep militaires montées par des hommes armés jusqu’aux dents, même gantés et dont certains – ceux qui tiennent un gros canon – sont encagoulés, la mine grave. Mais cela n’émeut pas les passants. Habitude, quand tu nous tiens !
Après les salamalecs d’usage, sous les ordres du lieutenant dont nous tairons le nom, nos deux voitures sont encadrées par les deux véhicules militaires.
L’anxiété qui se lisait sur certains visages cède la place à la quiétude. Les gens sont déconcentrés et discutent de tout et de rien.
Un environnement kaléidoscopique défile sous nos yeux. Tantôt, c’est la forêt vierge. Tantôt, c’est une clairière où l’eau s’étend à perte de vue. En effet, les sources documentaires renseignent que «la Casamance, appelée également pays floup, du nom du royaume diola couvrant cette entité géographique, est un pays de forêts, de fleuves et de rivières». Cette région a donné naissance à des personnages historiques qui ont lutté contre lacolonisation occidentale, et qui sont, encore aujourd’hui, présents dans les mémoires, comme Djignabo Badji ou Aline Sitoé Diatta.
Cette parenthèse historique fermée, les villages défilent devant nous : Brin, celui de l’ancien maire de Ziguinchor, Robert Sagna, ensuite, le croisement Enampor, Djibonker, Dar Salam, le Pont Etomé, Etomé, Nyassia, Bafinca, Dalang, Dioker, Kaléane, Pont Niabalang, Niabalang, Karounnate…
Nous sommes à Oussouye, fief du regretté député Laye Diop Diatta. A quelques encablures du rond-point dudit faubourg, et à droite, la préfecture, nous sourit avec sa porte qui donne sur une grande cour où flotte le drapeau national.
«Oussouye, la zone la plus sûre de la Casamance», selon le préfet William Manel
Notre délégation descend et rend une visite de courtoisie à Monsieur William Manel, le préfet. Et c’est le capitaine du port de Ziguinchor, M. Thiam qui présente le groupe et les objectifs de la visite à Carabane. A l’en croire, «c’est pour la réalisation d’un appontement passagers et d’un appontement à pirogues permettant une meilleure sécurisation du voyage en mer dans cette zone qui a, au même titre que d’autres zones de la Casamance, été endeuillée par le drame du Joola». Il sera complété par MM. Maguèye Guèye et Mbaye Ndao, mais aussi par Samuel Demolliens… Prenant la parole, le préfet William Manuel, entouré de ses proches collaborateurs et des élus locaux, après s’être félicité de leur démarche de ce jour, dira : «Nous sommes heureux de cette visite qui nous permet d’être informés de ce que vous faîtes dans notre zone. Et puis, n’oubliez pas que pour la sécurité, vous avez besoin de nous voir pour qu’on organise votre escorte, même si…, je touche du bois, vous êtes à Oussouye, dans la zone la plus sûre de la région. Votre démarche est louable». M. Manel ne tarira pas d’éloges à l’endroit d’Armand Despond, Constructeur de travaux et Chef de chantier Eiffage à Carabane. Ensuite, M. Diagne, un conseiller rural parlant au nom de M. Tombong Guèye, Président du Conseil rural de Diembéring empêché, le succédera au micro. Idem pour le sous-préfet de Cabrousse.
Bienvenue à Elinkine, le fief des Jambars !
Cette rencontre terminée, nous mettons le cap sur Elinkine, fief des Jambars, base navale de l’armée sénégalaise installée dans cette zone dans les années 70, sous Senghor et par les Américains. Les villages défilent sous notre regard curieux : Mlomp, lieu où les premiers colonisateurs ont été étonnés par le talent des architectes diolas, constructeurs de cases à impluvium et de cases à étage,[] Haer, Kandong, Kadjifolong…
Le serpent noir continue de s’étirer dans un océan de verdure où le bruit des moteurs de nos voitures perturbe la quiétude des oiseaux et du bétail constitué de petites chèvres et de vaches de la race «ndama». On en voit quelques espèces enfermées dans un enclos, non loin des concessions des villages avalés jusqu’aux cimes des toits par de hautes herbes. Quelques enfants, pas du tout effrayés par les véhicules militaires, accourent à notre rencontre, des deux côtés de la chaussée. D’autres restent imperturbables, continuant à travailler la terre. Un rond-point en pleine forêt nous indique la direction de Djiromaït, à l’opposé de celle d’Elinkine. Une grande plaque publicitaire encourageant l’enseignement des filles barre notre vue avec ce message d’une fille portant un sac plein de matériels scolaires : «Je veux aller à l’école».
Des villages aux noms évocateurs se succèdent encore sur notre passage : Djicomol, Cagnout, Bouhiambane, Ebrouaye, Ouyaho, Samatite, Sam Sam, Loudia Ouolof, et enfin Elinkine et sa base navale. Nous sommes à 508 km de Dakar et à 58 km de Ziguinchor. Et véritablement, en zone militaire.
Là, un tableau sur lequel nous pouvons lire : «On nous tue. On ne nous déshonore pas», nous accueille.
A notre descente des véhicules, un militaire, face au poste de police, discute avec «ses classes», la poitrine bombée, la démarche fière et altière. En avançant à notre rencontre pour nous guider vers la vedette qui doit nous transporter à Carabane, il alterne les coups de brevets (gauche) aux coups de froisière (droite). Il nous souhaite la bienvenue à bord de la vedette mise à notre disposition sous l’escorte d’une autre montée par des militaires armés. Nous prenons la petite échelle…, sous une pluie battante. Nous portons les gilets de sauvetage et levons l’ancre. L’engin, dans un vrombissement fort, déchire l’eau. A droite, c’est le port artisanal d’Elinkine, avec ses pirogues aux couleurs arc-en-ciel. A gauche, une forêt de mangrove cache de petites îles dont on dit qu’elles sont encore vierges. Au bout d’une dizaine de minutes de route (le trajet dure 10 à 15 mn), j’allais dire de fleuve et de mer, nous entamons une bifurcation sur un angle de 90°. La vedette a dévoré la dizaine de kilomètres qui nous séparait de Carabane. Nous apercevons une sorte de bâtiment en pleine eau. Ce sont un gros chargeur de pieux métalliques et un chantier en cours de construction. C’est le nouvel appontement de Carabane. Oui, l’île de Carabane ou «Carab – ane», en diola, qui signifie «la part d’autrui». Selon Alioune Sarr, un notable dudit village : «Après avoir acheté l’île de Diogué, les blancs ont voulu s’approprier cette île, on leur a répondu que là-bas, c’est la part que de quelqu’un (carab-ane)». Toujours selon Alioune Sarr : « Le colon s’est offert cette partie paradisiaque du Sénégal pour l’équivalent de 26 francs Cfa par an ». C’est, d’ailleurs, dans cette belle partie du pays que repose le capitaine Aristide Protêt. Cet homme dont l’actuelle place de l’Indépendance de Dakar – qui a vu Valdiodio Ndiaye, à la tête des porteurs de pancartes, réclamer, le 26 août 1958, la souveraineté nationale de notre pays au Général de Gaulle -, portait le nom jusqu’à récemment.
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Visite guidée de l’île de Carabane…
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Carabane, c’est également un banc de sable recouvert d’une végétation luxuriante, palmiers, cocotiers, baobabs, fromagers, manguiers, flamboyants, bougainvillées…
La plus grande partie des 57 km² de cette île est recouverte par la mangrove de palétuviers et est accessible uniquement par les bolongs, des bras de mer qui se faufilent dans les terres en créant de multiples petits îlots.
Carabane, c’est enfin un immense domaine halieutique avec «d’innombrables carangues, capitaines, barracudas, otolithes, carpes rouges et autres espèces de poissons tropicaux…»
Le cimetière catholique où est enterré le capitaine Protêt est à 50 mètres du cimetière musulman et fait face à l’île de Diogué. Outre Protêt, on y retrouve les tombes de la grand-mère de l’Ambassadeur Bruno Diatta, chef du protocole des présidents Senghor, Diouf et Wade. Mme Benjamin Diatta née Juliette Ndiaye née en 1893 et décédée en 1946 y est inhumée. Notre guide nous a aussi montré un caveau familial qui appartiendrait à une partie de la famille de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous Abdou Diouf, le maire de Diourbel Me Jacques Baudin.
Plus loin, à l’horizon, c’est-à-dire, là où le ciel semble toucher la terre, les îles de Hitou et de Diogué. Lieu paradisiaque, à cette période de l’année, un vent frais vous caresse le visage. Oui, c’est l’hivernage. Il pleut. Et beaucoup.
Où en est-on avec le projet de Carabane ?
A la plage de Carabane où déambule un couple mixte (une blanche et un noir), nous descendons sous l’œil vigilant de notre hôte, Armand Despond. Dans les locaux du débarcadère de Carabane complètement lézardés et nouvellement réhabilités par Eiffage, une autre réunion se tiendra entre membres de la délégation citée plus haut. Sur ce bâtiment aux petites briques roses qui nous reçoit ce matin, flottent deux drapeaux : l’un, une étoffe tricolore (vert-jaune-rouge), c’est celui du Sénégal. Et l’autre, une étoffe blanche avec du rouge. «C’est celui d’Eiffage», me fait remarquer M. Samuel Demolliens de ladite société.
Et cela, suite à une visite guidée sur le chantier de l’appontement où la grue s’attelait à battre les pieux qui serviront de supports à l’ouvrage.
Ainsi, M. Olivier Pal d’EIFFAGE signale que : «90% de la portance du pieu est obtenue par frottement, le biseautage du métal en pied faciliterait la pénétration du pieu dans le sol, le fonçage crée une surpression momentanée des sols argileux qu’il est nécessaire de dissiper quelques jours pour terminer le battage de la tête du pieu à la cote du projet».
Et de poursuivre : «D’ici à 10 jours (Ndlr : du 5 au 15 août 2010), EIFFAGE sera en mesure de présenter le rapport de synthèse des essais, et proposer la méthodologie et le matériel adaptés au fonçage dans les meilleures conditions de tous les pieux du projet. Les procédures et programmes fournis par l’Entreprise seront à revoir en conséquence». Contrairement à l’information donnée par le sous-traitant CAN, «les 4 pieux de guide diam.660 mm n’ont pas 16,0 mm d’épaisseur mais 13,1mm», ce qui explique qu’ils ont pu être vibrofoncés à la cote (-17,00 hydro), à la différence des pieux du projet s’arrêtant à (-7,50 hydro).
Ensuite, M. Lucas de CAN informera de la venue sur le chantier, du 9 au 12 août 2010, de M. Ouch, Directeur des Travaux Maritimes (CAN), et M. Roussel, Expert en Travaux Maritimes.
«Ils seront accompagnés d’un technicien PTC qui vérifiera le bon fonctionnement du vibro-fonceur PTC 25H1 mobilisé et préconisera si nécessaire le vibrofonceur le mieux adapté à notre chantier», ajoute-t-il.
Pour augmenter la capacité de battage, indique-t-il, «il est également étudié la possibilité de mobiliser un D30».
Le Maître d’Oeuvre a aussi demandé au sous-traitant de proposer une solution fiable pour préserver la peinture anticorrosion des pieux lors de leur frottement sur les cadres de guidage.
Pour parfaire les vérifications, le Maître d’Oeuvre a demandé à l’Entreprise de recouper les lectures à partir des deux (2) stations totales et des vingt-et-une (21) bornes de profil implantées sur le rivage.
A la demande du sous-traitant, les intempéries (houle, vent, pluie) feront l’objet de constats contradictoires entre les représentants sur le chantier de CAN, d’EIFFAGE et d’EGIS-BCEOM.
Quand nous y sommes retournés, récemment, « le projet de Carabane était réalisé à plus de 50% », selon M. Demolliens. Voir cet extrait https://www.youtube.com/watch?v=5AmHOLmqWWM.
Concernant la préfabrication des éléments de superstructure en béton, M. Maguèye Guèye soutiendra que «M. Serigne Modou Guèye, jeune ingénieur, employé de l’ANAM, suivra sur le Port de Dakar, la préfabrication des éléments de superstructure en béton armé». Ceci dit, nous devrions reprendre la vedette pour retourner à Elinkine et Ziguinchor. Mais notre hôte, en plus du gîte, nous a offert le couvert. Ce sera l’occasion de goûter aux mets d’un hôtel de la place.
Un repas copieux, – s’il vous plaît -, avec une belle vue sur les îles Diogué et Hitou, mit fin à cette visite. Et le retour sur Ziguinchor, sous une forte pluie, pouvait commencer…
Alassane DIALLO, Envoyé Spécial à Carabane